Marseille la rebelle et les 1336 jours de Fralib
Jour 20
(24 juin)
Après avoir passé une nuit, au quartier Croix Sainte de Martigues, nous nous sommes tous retrouvés au jardin partagé au pied des immeubles, un espace intergénérationnel où école primaire et maison de retraite cohabitaient dans la plus belle harmonie. Nous avons tout de suite fait le lien avec la conférence de Paul Ariès, la veille, qui expliquait la prévalence de la transmission de nos savoirs face à l’accumulation.
Une fois le petit déjeuner comique passé, avec Nina des tatas flingueuses, nous avons pris la direction de la plage de l’Estaque.
La route sillonnait la merveilleuse côte Marseillaise. Même si l’on pouvait voir la mer, l’envie n’était pas à la baignade. Nous étions tous déterminés à entrer dans la cité phocéenne, bien que la situation ait été teintée d’incertitude du fait de l’interdiction du passage du Tour par le maire de la ville, Jean Claude Gaudin.
L’escale à Ensuès était agréable et positive. Il nous a semblé intéressant d’observer le contraste entre des villes presque mitoyennes car si la situation était tendue à Marseille, les élus d’Ensuès soutiennent la transition écologique et sociale et se sont montrés favorable à la signature du Pacte pour la transition !
Une fois à l’Estaque, après un accueil chaleureux et impressionnant par le nombre et le foisonnement des activités – des démonstrations de joutes sur bateaux, de la peinture, des moments conviviaux de musique et de petites réunions de coordination – c’est remplis d’énergie et poussés par un élan de légitimité populaire que l’on a démarré cette vélorution pour le moins atypique.

Photo ©Philippe Houssin
La déambulation marseillaise a duré près de 2h à travers un éventail diversifié d’arrondissements. Nous avons reçu un accueil particulièrement positif dans les quartiers populaires, les passants ne sont pas restés indifférents à la vue de notre cortège joyeux et coloré 🙂 L’arrivée triomphale à la place Bargemont, à coté de la Mairie, puis la mise en scène artistique devant les quais de la mairie, étaient fantastiques.
Illustrant l’emblématique thème décliné par les vélorutionnaires marseillais « Si on n’y va pas en vélo en 2015, on ira en radeau en 2050», un bon nombre d’entre eux étaient parés de leurs plus beaux maillots, masques et tubas. Il s’agissait d’attirer l’attention, avec humour et force, sur l’urgence de réagir face à la montée du niveau des mers. Un discours engagé à destination du Maire a suivi la première manifestation organisée dans l’eau du Vieux Port par 20 militants. Puis c’est au cours Julien que nous avons continué la soirée, avec des concerts sauvages de qualités, dont celui de HK et les saltimbanques … marseillais. La place grouillait de monde et l’ambiance était festive : un vrai esprit alternatif réunissant quelque 1 800 personnes… sans agents à l’horizon. Quelle belle soirée, son souvenir restera gravé dans nos mémoires !
Jour 21
(25 juin)
Le départ de Marseille s’est effectué non sans efforts : circulation, dénivelés, automobilistes pressés… puis hop, une triplette à plat !
Nous avons tout de même pu jeter au passage quelques coups d’oeils plaisants sur les rues reverdies de Marseille. Des citoyens motivés ont multiplié les petits gestes pour redonner place à un peu de nature au milieu des rues bétonnées… et la dynamique s’est amplifié ! Il y a désormais des rues où des bac de palettes et autres matériaux recyclés hébergent de belles pousses, et d’incroyables comestibles !
Les coups de pédales s’enchaînent, les triplettes slaloment et ascensionnent pour venir saluer les copains de l’usine Fralib… Et nous redécouvrons in situ l’histoire de ces salariés d’Unilever, qui fabriquait ici le thé Elephant. Confrontés à une vague de licenciements massifs, ils nous ont expliqué comment leur détermination continue, au cours 1336 jours de grève, leur a finalement permis de se constituer en SCOP (société coopérative et participative) et de racheter leur outil de travail. Ils ont alors créé les Thés 1336 et ScopTI, proposant des produits biologiques et privilégiant les circuits courts.
C’est en gagnant Fralib que nous avons franchi notre 1000ème kilomètre, et comme promis, c’est à la SCOP que nous dédicaceront le 1336ème, en lui souhaitant le plus beau succès !
En gagnant la douce agitation d’Aubagne, nous avons connu une étape de midi très pêchue ! Sur une place pleine de monde avaient été installés un espace enfants, un four solaire géant, une piste de danse salsa, des stands, des tablées conviviales… Donnant lieu à de véritables émulations, de la joie et un engouement local fort !
La FourMili’AIRES, webradio locale et indépendante a diffusé sa programmation et son “slogan maison” spécial Alternatiba. Animée par Thierry, qui défend micro brandit la liberté de s’informer, de s’intéresser et de s’amuser, la radio émet dans des structures telles que les Maisons de la Jeunesse et la Culture (MJC) ou dans les Maisons de la Vie Citoyenne (MVC) qui, du fait des restriction de financement public, peinent de plus en plus à exister.
Non loin bourdonne Télé Mouche, la web tv indépendante du Pays d’Aubagne, qui a partagé avec nous sa bonne humeur et sa curiosité !
Puis nous avons eu droit à un repas préparé avec soin et créativité par DiscoSoupe et Pierre André. L’équipe de DiscoSoupe nous a appris que “l’oignon fait la force”. Cette initiative pour “La convivialité contre le gâchis, la gratuité du recyclage et le plaisir de la musique” nous a nourri, dans tous les sens du terme 🙂
Puis nous avons savouré un plat cuit dans le four solaire géant de Pierre André. Cet ingénieur-cuisinier s’est lancé le pari de monter un restaurant au coeur de la forêt, qu’il rendrait peu à peu comestible, en cuisinant avec le soleil !
Le temps passe trop vite pour nous attarder sur tout ce qu’il y a à voir et il est dur de repartir à l’heure… mais pied sur la pédale nous saluons finalement cette belle et dynamique équipe et repartons grimper sur les collines.
Deux kilomètres après le départ, une des triplettes se détache du cortège et s’arrête, ça arrive parfois… déraillage ? Non, elle ne redémarrera plus de la journée, la chaîne est cassée. Nous appelons à la rescousse le camion logistique, ses outils, ses pièces de rechanges, pendant que la seconde triplette continue d’avancer vers Aix-en-Provence.
“Il va y avoir du raidillon là !” nos guides, tout deux prénommés Olivier, on le sens de l’euphémisme : la côte s’étire et s’accentue, et ça dure.
Trempés de sueur, le souffle court, nous savourons unanimement la vue offerte sur la Provence… et la descente qui s’ensuit. Grimper n’a jamais été aussi dur, mais quelle récompense une fois en haut !
Arrêt technique imprévu, l’occasion d’échanger un salut avec un amateur de cycles qui nous invite à recharger nos gourdes : elles étaient vides, cela tombe très bien !
L’après midi se poursuit à coups de raidillons et faux plat, mais l’accueil au point vélorution nous rendra nos forces. Biscuits et gâteaux appétissants concoctés par la pâtissière de la Biocoop nous régalent et rétablissent notre taux de glycémie, pour qu’une belle vélorution s’élance jusqu’à Aix !
Après une belle visite de la ville, les tandems s’arrêtent au milieu des nombreux stands d’alternatives présents. Un ouvrier de la CGT prend la parole et appelle à la création d’une coopérative pour reprendre l’activité de Nexis (vitrage isolant et photovoltaïque) une filiale d’EDF en cours de fermeture, faute d’investissements… la politique du tout nucléaire fait bien des ravages et n’épargne malheureusement pas les emplois. De son côté, une programmatrice de radio ZINZINE, une radio locale, indépendante, militante et pleine de bonnes ondes, née au sein de la coopérative Longo Maï, nous cueille à l’arrivée. Et voilà Alternatiba au micro, en direct ! Une autre surprise nous attend : la douce Odile offre un massage aux cyclistes 🙂
Nous finirons la soirée autour d’un grand repas au 3C, le Café culturel citoyen, véritable relais qui offre un lieu d’expression aux riverains. Il abrite discussions, soirées thématiques, échanges vitaux et informatifs, etc. Nous y passerons un excellent moment et goûterons à un délicieux aïoli végétarien en hommage aux marseillais ! Ce soir la nous regagnons nos pénates un peu à reculons, animés par une fatigue heureuse.
Jour 22
(26 juin)
Nous sommes partis ce matin là en attaquant tout de suite par une belle et longue montée qui nous offre une vue magnifique sur le massif du Lubéron. Nous avons ensuite traversé la Durance, annonçant l’entrée dans le département du Vaucluse et notre arrivée à Cadenet, point de départ de notre défilé festif et revendicatif.
Nous étions à ce moment la très impatients à l’idée de partager un bout de route avec une classe de l’école de Lauris. Plus de 30 enfants ont accompagné le Tour pendant 5 kilomètres et c’est avec émotion que nous avons rencontré la génération qui, demain, vivra dans le monde que nous sommes en train de construire. Déjà très au point sur le changement climatique, ils nous ont impressionné !
Le maire de Lauris, participa lui aussi à notre défilé en chevauchant la quadruplette du Tour.
Après un super repas partagé avec les habitant-es de Lauris, nous repartons en direction de Cavaillon, en nous arrêtant à la “Terre promise”, un lieu occupé par les locaux pour éviter qu’Auchan ne rachète et bétonne ces terres fertiles. Les gens qui y vivent produisent d’excellents fruits et légumes. Un cercle d’amis important soutenant la démarche, “Terre promise” a pu se maintenir tant et si bien que le supermarché est sur le point de reculer !
Nous voilà maintenant à Cavaillon. Les rafraîchissements préparés par l’équipe sont très appréciés, tout comme l’arrivée sur le Tour de Benoit, le porte parole de la FNE (France nature environnement). Le soir, nous sommes accueillis dans le “Village”. Ces personnes en réinsertion se sont fabriqués elles-mêmes leurs maisons en briques, composées de terre. Ils y pratiquent trois activités : éco-construction, restauration et l’hôtellerie.
De Cavaillon à Avignon, les 26 kilomètres de cette courte étape sont vite avalés : Nina et Greg, nos hôtes du soir nous retrouvent sur le parcours pour nous guider jusqu’au cœur de la cité des Papes.
L’après-midi, Alternatiba Avignon avait concocté un sympathique programme. Pendant ce temps, Greg nous ouvrira les portes de l’atelier vélo Roulons à vélo, membre des ateliers vélo, l’Heureux cyclage. Les deux triplettes souffrent et nous ne savons pas si elles pourront rouler le lendemain. Mais grâce aux conseils de l’équipe de l’atelier vélo, nous réussissons à remettre sur roues les deux vélos. Ouf, nous pourrons repartir sur les routes et poursuivre notre joyeux et enrichissant périple !
La canicule est là, et ça va durer. En plein soleil, les vélos s’élancent vers Orange puis Pierrelatte. Nina qui nous a hébergé la veille, décide de nous suivre. En remontant la vallée du Rhone, nous avons le mistral en pleine face. Avant d’arriver à Pierrelatte, nous passons au pied de la centrale nucléaire du Tricastin. Ce sera la première du longue série de centrales très nombreuses dans la vallée du Rhône.
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