Jour 110 – 22 septembre – Magny-les-Hameaux / Malakoff
Après une journée de repos, nous sommes d’attaque pour la dernière ligne droite vers Paris. Enfin, ligne droite, ce sera plutôt un contournement par le sud, l’est, le nord puis Paris samedi prochain. Mais tant mieux, encore autant d’occasions de rencontrer du monde.
Les vélos s’élancent sous un ciel maussade, mais la lancée est vite interrompue par un arrêt à la mairie de Le Perray. Arrêt important : Le Perray, bourgade de 6 000 habitants, a décidé de signer le Pacte pour la Transition Citoyenne. Les élus expliquent qu’ils ont mis en place depuis longtemps le tri sélectif et encouragent les circulations douces. Heureux de nous accueillir, ils aimeraient discuter davantage de notre périple, mais il nous faut déjà repartir…
Et repartir pour pédaler sous la pluie. Mais la promenade est belle à travers la forêt de Rambouillet, où l’on débusque çà et là, nichés derrières les arbres, abbayes et petits châteaux. Nous ne sommes déjà plus qu’à une vingtaine de kilomètres de Versailles, et les paysages sont pourtant encore bien verts dans le parc de la Haute Vallée de Chevreuse.
C’est sous les bourrasques qu’on arrive ce midi à Magny-les-Hameaux. L’ambiance est pourtant chaleureuse à l’Estaminet, un grand café prêté par la mairie aux associations, avec une salle de spectacles adjacente. Derrière le comptoir, des dames s’affairent pour servir les nombreuses personnes venues assister à l’arrivée du Tour. L’une d’elle, qui se présente comme « la bonne à tout faire », nous explique la signification des autocollants qu’elles arborent : « culture en résistance ». Les subventions allouées à la culture par les organismes extérieurs à la ville ont tellement baissé que la politique culturelle municipale est menacée. Cela, en dépit d’une programmation manifestement orientée vers l’ouverture, et la présence sur la commune d’un lieu historique de la culture : l’abbaye de Port-Royal des Champs.
A l’occasion de la vélorution, on découvre que les élus locaux se battent aussi contre la fermeture d’une maison de l’Environnement, de la Science et du Développement Durable. Malgré l’approche de la COP21, il semble que les restrictions budgétaires n’hésitent pas à sacrifier culture et sensibilisation à l’environnement.
Sous les averses, nous poursuivons l’après-midi l’approche de Paris. L’influence de la grande ville commence à se faire sentir. Le plateau de Saclay se partage entre les cultures, et le domaine du Commissariat à l’Energie Atomique, dont nous longeons les clôtures couronnées de fil barbelé. Tout au bout, un grand chantier : un panneau indique les travaux d’aménagement du Grand Paris.
Quelques côtes périlleuses plus loin, c’est la traversée de la forêt de Verrières, et l’arrivée à Clamart. Ça y est : nous sommes définitivement en ville. Sous la pluie battante, tout le monde se réchauffe autour du stand d’Alternatiba. Un, deux, trois, et en route pour Malakoff. Les noms de rues sont évocateurs : Youri Gagarine, Maurice Thorez, Eugène Varlin… Pas de doute : nous entrons dans ce qu’on appelait la banlieue rouge.
Sur la grande place de la mairie, nous retrouvons entourée de 120 personnes notre marraine, Christiane Hessel, qui salue notre mouvement et la force militante de Malakoff. La maire de la ville appelle ensuite à une mobilisation populaire pour que chacun se saisisse des enjeux du changement climatique et ne les laisse pas aux chefs d’Etats, « si brillants soient-ils », afin de permettre une « métamorphose révolutionnaire » pour « ouvrir le chemin d’une nouvelle civilisation écologique ». Au passage, une petite pointe contre la politique française et les « autocars à bas coût » de la loi Macron… Sous les appareils photos, la maire signe le Pacte de la transition, tandis que l’adjoint au Développement Durable nous confie ses projets de projections de films pour sensibiliser la population avant la COP21.
Le dîner nous est fourni par le MIAM, ou Manger Intelligemment à Malakoff : c’est l’AMAP locale. Délicate attention, des pâtes en forme de petits vélos… A la conférence qui suit, qui se tient dans la toute neuve maison des associations de Malakoff, l’assistance est fournie. Une soixantaine de personnes écoute gravement la présentation d’Adrien, puis l’intervention d’Anne Bringault du Réseau Action Climat. Les questions tournent autour de la transformation de la société. Marc, instituteur à Malakoff, s’interroge : « Comment fédérer en gardant une radicalité ? » Un autre s’insurge : « Si y a rien qui sort de la COP21… ça va chier ! » Encore un autre rappelle les mots de Gandhi : « D’abord, ils vous ignorent. Ensuite, ils vous méprisent. Enfin, ils vous combattent. Et après, vous gagnez. Et là, on en est où ? »
Jour 111 – 23 septembre – Antony / Ivry-sur-Seine
Ce matin, nous commençons la journée par une réunion collective. De la douzaine de personnes que compte habituellement le groupe, nous sommes passés à plus d’une vingtaine de vélos, et nous n’avons pas fini de grandir ! Le noyau dur d’irréductibles partis de Bayonne le 5 juin se voit entouré de ceux qui ont mis leurs vacances a profit pour militer en pédalant…. et reviennent vivre la fin de cette incroyable aventure !
Le groupe s’est ensuite scindé en plusieurs éléments, car en cette période d’arrivée en région parisienne et de préparatifs de départ, le Tour est plus que jamais en ébullition. La quadruplette a pris la direction de l’école primaire du quartier. Arrivant au beau milieu de la recréation de 10h, les quatre cyclistes venus rendre visite à des CE2, CM1 et CM2 ont été accueillis par des exclamations d’étonnement et de joie. Pour renvoyer la pareille aux enfants, ils ont entonné la chanson du Tour a capella : un grand cercle s’est formé, petits et grands battaient la mesure en frappant des mains. Puis tout ce petit monde a regagné les salles de classe et partagé un moment à discuter du projet d’Alternatiba, du dérèglement climatique et des solutions rencontrées au cours du périple. Les écoliers se sont montrés aussi attentif que réactif… un vrai bonheur ! Tri sélectif, bicyclette, économie d’énergie, échanges de vêtements, agriculture de jardin ou sur le balcon, les petits se plaisent à pratiquer et à parler des bonnes habitudes qu’ils adoptent au quotidien. Pour ce qui est de la pollution à grande échelle les propositions sont radicales : il faut immédiatement fermer toutes les usines qui détruisent notre atmosphère, notre terre, notre eau ! La vérité sort de la bouche des enfants, paraît-il…
La vérité, en tout cas, les marmots essaient de s’en faire une idée. Les animateurs du centre de loisir voisin ont donc profité du repas partagé de midi, toujours à Malakoff, pour laisser libre court à leur sens de l’investigation : munis de bloc-notes et de stylos billes, les graines de journalistes ont interrogé les cyclistes sur leurs motivations, leur manière de vivre cette aventure au quotidien… Avant de leur demander des autographes ! “Papy Jacques” -doyen de l’équipe- a ensuite fait faire un tour des marronniers du jardin public aux enfants, sur la petite triplette. Ils en sont repartis ravis, et nous aussi !
Malgré les efforts de nos guides sur le choix de l’itinéraire (coulée verte, parc de Sceaux), l’étape de l’après midi n’a pas été de la tarte ! En plus des triplettes, l’équipe compte désormais une dizaine de vélos et nous circulons dans des rues très passantes, aux côtés d’automobilistes pressés. Les membres du Tour et les locaux encadrant et sécurisant ce joyeux cortège n’ont pas chômé, merci les amis, vous avez assuré !
La pause que nous avons marquée à Antony est donc arrivée fort à propos, tout comme les délicieux jus et fruits frais que nous avaient gentiment préparé notre comité d’accueil, constitué de cinq associations locales. Devant la bouche de RER, un point d’info invite les passants à s’interroger sur le TAFTA, à comprendre ce qui se trame dans les couloirs des conférences internationales sur le climat… alors que les cyclistes les invitent à se joindre à la grande fête de l’arrivée du Tour ce samedi après-midi à la Villette puis place de la République, ainsi qu’au Village des alternatives parisien, tout le week-end.
Ce plein de vitamines nous a permis de gagner Cachan en quelques coups de pédales, lieu d’une nouvelle belle rencontre : une dizaine de jeunes du centre pour ados Guy Môquet d’Arcueil ont roulé avec nous jusqu’à la maison de l’Environnement. Pour promouvoir l’utilisation des cycles, le service jeunesse de la mairie a mis à disposition des jeunes une petite flotte de vélos leur permettant d’effectuer leur sorties en pédalant, ainsi qu’un atelier de réparation.
Création de zones de rencontres limitées à 20km/h, développement de projets d’agriculture urbaine, mise à disposition d’un espace pour une ressourcerie coopérative, identification de la commune comme une zone hors TAFTA ou encore organisation d’ateliers de sensibilisation à la consommation responsable et à l’économie d’énergie, la mairie d’Arcueil s’est d’ailleurs engagée sur plusieurs mesures proposées par le Pacte pour la transition. C’est alors tout naturellement que le maire de la commune a signé le document, en présence d’élus, de citoyens, et de cyclistes, soulignant le rôle déterminant des collectivités locales dans la réduction des gaz à effet de serre (dans les domaines des transports et de l’habitat notamment).
Le temps est ensuite venu d’entamer la vélorution du soir en direction d’Ivry. En arrivant au parc Maurice Thorez devant plus de 300 personnes, nous avons été surpris par l’assemblée : une foule d’animaux en tous genres (léopards, pandas, grenouilles, éléphants, pingouins et autres ourses “à l’Antarctique de la mort”) s’étaient mis sur leur trente et un, et nous attendaient de pieds ferme. Au cours de ces derniers mois, artistes, glaneurs et rafistoleurs ont œuvré à la préparation de cette mosaïque très photogénique, quel beau travail !
Amené par une Maracatu (ensemble d’instruments du Nord-Est brésilien), le carnaval des animaux nous a guidé à travers les faubourgs d’Ivry, célèbre ville ouvrière à l’atmosphère conviviale. Formes ancestrales de résistance, d’expression et d’organisation pour les peuples opprimés par les colonisateurs, percussions et déambulations costumées n’étaient pas rassemblées ici par hasard. Depuis 2003 (date du forum social européen organisé en région parisienne), un Forum social local fédère les voies contestataires et alternatives d’Ivry, et c’est au FSI (Forum social d’Ivry, regroupant près de 47 associations) que l’on doit cet accueil des plus réussis !
Ancienne école, le centre associatif municipal Jean Jacques Rousseau héberge de nombreux événements alternatifs – avoir l’appui d’une mairie engagée aide à faire germer les bonnes graines – et c’est ici que s’est déroulée la fin de cette journée bien remplie. Alors que la conférence du Tour battait son plein, les cyclistes goûtaient à un plat de Colombo délicatement épicé et servi avec gentillesse et humour par les jeunes de CAPE sur Ivry, pour Citoyens à part entière. Pleine de vie, cette association de quartier finance ses projets de sorties culturelles et loisirs, voyage humanitaire et bientôt soutien scolaire, grâce à la confection de bons petits plats. Merci à tous pour cette soirée mémorable, et longue vie au FSI !
Jour 112 – 24 septembre – Vitry-sur-Seine / Montreuil
Alors qu’une partie de l’équipe passe la nuit à La Crypte, salle associative de la ville, nous dormons chez Maguy. Elle est militante d’Ivry depuis plus de trente ans dans tous les domaines et toujours pleine d’énergie. Parmi ses combats actuels : la lutte contre le projet de reconstruction de l’incinérateur des déchets de Paris et des communes voisines, pour y ajouter une usine à tri mécano-biologique. Le chantier est confié à Suez, pour deux milliards d’euros. Cela rappelle le projet à Echillais, à côté de Rochefort.
Le départ d’Ivry se fait dans un mélange d’immeubles futuristes des trente Glorieuses et de maisonnettes encore survivantes. 10 heures sonnent à l’église de Vitry-sur-Seine, lorsqu’on retrouve 150 écoliers sur une grande place. Une foule multicolore et excitée qui se presse contre la quadruplette. Ils écoutent sagement Max scander la chanson du Tour, un garçon se lance et danse, applaudis par les autres.
Puis se sont aux enfants de prendre la parole : Abdoula, Myriam, Fatou, Lucas et tous les autres nous confient leurs messages pour la Terre. Ils demandent à chacun de préserver les plantes qui « permettent d’avoir de l’oxygène », d’arrêter d’utiliser du plastique, de réduire les voitures… Cela leur semble naturel, ils sont en avance sur les adultes. Nous sommes vite submergés de messages et il faut faire trois groupes.
Montée vers le Parc des Lilas de Vitry. 100 hectares, soit un quart de la superficie de la ville. Espace récupéré peu à peu par le conseil départemental et laissé naturel car il repose sur un véritable gruyère, né de l’exploitation du gypse.
Une partie du parc est sauvage. Dans une autre partie, des jardins fleuris de cosmos, et du maraîchage. Une association, Planète Lilas cultive 2,5 hectares pour fournir une AMAP à raison de cent paniers par semaine. Elle emploie six salariés. Elle propose également des animations pédagogiques et un jardin partagé. Au menu ce midi : les légumes produits par le parc.
On repart et on redescend la pente durement gravie, direction Alfortville. On longe pour la première fois la Seine. Arrêt pour rencontrer de l’association J’aime le vert dans un de leurs jardins. Ils ont quatre jardins à Alfortville, dont un avec des poules, et un autre avec des ruches. Celui où nous nous trouvons disparaîtra bientôt, comme la maison voisine, pour être remplacé par un immeuble. Mais l’association ne se démonte pas, ils ont beaucoup de projets dont un projet de squat d’un toit d’écoles avec ruches, composteurs etc. Ils travaillent aussi avec la mairie du 13e arrondissement sur un projet de compostage pour 200 familles.
En route vers Fontenay-sur-Bois, dans une côte (bien sûr), l’une des triplettes crève. Le reste du trajet se termine de façon épique, avec des cyclistes qui courent en poussant leur tandem. On arrive à l’éco-parc des Carrières. C’est aussi un parc aménagé sur d’anciennes carrières. De là, la vue domine le sud parisien, avec le bois de Vincennes et son célèbre rocher, encadré par l’usine d’incinération d’Ivry, les tours du 13e arrondissement, jusqu’à la tour Montparnasse. L’occasion pour la mairie de signer le Pacte pour la transition.
Cap sur Montreuil et la visite de ses célèbres murs à pêches. Vestige de l’ancienne ceinture maraîchère et arboricole de Paris, avant que la révolution des transports et de l’agriculture ne permettent la spécialisation des régions et l’importation des fruits et légumes depuis des contrées lointaines. Il s’agit d’un labyrinthe de murs de silex enduits de plâtre (matériaux locaux), orientés nord-sud, sur lesquels les fruitiers (pêchers, mais aussi pommiers, poiriers) étaient palissés, de façon à produire des fruits malgré le climat parisien trop froid. Le site datant du XVIIe siècle a été classé par le Ministère de l’Environnement en 2003, mais une partie seulement : seulement 8 hectares sur les 35 hectares restant aujourd’hui. Le site sert de réserve foncière pour des opérations urbanistiques qui se veulent écologiques : construction d’un collège HQE, piscine, garage pour tramways. C’est un véritable grignotage d’un poumon vert de la ville, tant en termes de qualité de l’air que d’espace de jeux et de promenade. Au fond, se pose la question de la poursuite ou non de l’expansion de l’urbanisation. Les murs à pêches représentent pourtant non seulement un patrimoine historique, mais aussi un aménagement qui pourrait permettre de réintroduire l’agriculture à Montreuil, avec l’installation de nouveau de maraîchers et producteurs de fruits pour les rapprocher des consommateurs.
Actuellement, une vingtaine d’associations sont installées sur le site. Elles proposent des activités culturelles, mais aussi la culture de plantes aromatiques, de légumes et de fruits. Association des murs à pêches et Le Sens de l’Humus. Des variétés anciennes de fruits ont été retrouvées sur le site, avec notamment des pommiers de variété Calville.
Arrivée mairie de Montreuil, il y a beaucoup de monde. Après une belle vélorution nous retrouvons la salle Comme Vous Emoi où la conférence est l’occasion de projeter un film sur les alternatives à Montreuil aux 184 personnes présentes. Pour le repas, en bons sportifs, nous sommes d’abord un peu déçus en ne trouvant que de la soupe, et puis on tombe sur une mine de fromage et de gâteaux, et ça va mieux. Merci !
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