Jour 101 – 13 septembre – Gençay / Poitiers
C’est à l’aube et sous la pluie que nous enfourchons nos triplettes ce matin, et quittons la Charente pour passer dans le département de la Vienne. Matinée difficile pour les cyclistes avec une météo peu clémente et une partie de notre itinéraire non praticable pour cause d’inondation, nous obligeant à faire un détour…
Puis le ciel nous offre quelques éclaircies avant d’arriver à Gençay, où nous attend Pierre, un animateur socio-culturel très investi. Il nous explique que l’accueil a été préparé par des citoyens que le passage du Tour Alternatiba a fédérés. L’ambiance est joviale et très animée, avec une arrivée saluée par les musiciens et chanteurs de « Los Bonobos du Pays des Songes », petit groupe de trois gais lurons, dont Pierre. Un pot d’accueil est offert par la Mairie, l’occasion de rencontrer le Maire de Gençay à qui nous remettons (comme à chaque élu rencontré) le Pacte de Transition.
Après Gençay, direction Ligugé, point de départ de la vélorution qui doit nous mener à Poitiers. Nous découvrons alors le site du rendez-vous : la Filature, un lieu très particulier… Il s’agit d’une ancienne friche industrielle, vestige d’une ancienne minoterie puis d’une usine textile florissante, témoin historique de la Révolution Industrielle du 19ème siècle et des mutations profondes vécues tout au long du 20ème. Monument historique protégé depuis 2012, le site a été racheté et investi par Les Usines Nouvelles qui valorisent le patrimoine industriel et naturel du lieu en lui redonnant sa vocation initiale de lieu de production, par l’installation de porteurs de projets, dans les bâtiments restaurés en ateliers et bureaux. Les projets accueillis, dans les secteurs de l’environnement, des nouvelles technologies, des énergies renouvelables, des industries créatives, des arts, de la culture, de l’économie sociale et solidaire, se développeront dans cet espace commun, ouvrant ainsi la possibilité de mutualisation d’idées, de moyens, et d’actions. On y trouve également le Fablab Unit, un lieu dédié à la création, à la formation et à la médiation. Une étude y est aussi en cours pour produire des énergies renouvelables (d’origines hydro-électrique et photovoltaïque), et animer un espace de médiation en énergies renouvelables et développement durable. Enfin, un partenariat est mis en place avec l’association Les jardins familiaux de la Filature qui gère une quarantaine de jardins situés route d’Iteuil. Nous sommes donc bel et bien dans un endroit alternatif : un lieu qui permet la mise en place d’alternatives et de projets écologiques et sociaux, intégrant les générations futures dans les activités humaines d’aujourd’hui. C’est un site où l’on crée du lien social, un lieu de rencontre, de partage et d’échange intergénérationnel. Nous aurions aimé y passer plus de temps car cette “filature” fourmille d’idées !
Mais il ne faut pas faire attendre les très nombreux cyclistes qui sont prêts à déambuler pour soutenir le projet Alternatiba et porter la transition écologique de la société. Près de 240 personnes étaient présentes à l’arrivée, vélorutionnaires et citoyens venus accueillir le Tour au Parc Blossac de Poitiers. Tous les bénévoles que nous rencontrons dans le petit village des alternatives installé pour l’occasion nous répètent la même chose : la préparation et la coordination de l’événement n’a pas été facile au début mais la convergence des luttes autour des idées portées par Alternatiba a permis de se fédérer. Des associations qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble ont réussi à collaborer. Beaucoup d’interactions positives donc à Poitiers où tous les bénévoles ont déjà convenu d’un debreefing après notre passage afin de faire le bilan et de voir dans quelle mesure une poursuite du travail collectif serait possible. Un futur Alternatiba en perspective ? Nul doute en tout cas que nous en reverrons certains à l’arrivée finale du Tour Alternatiba le samedi 26 septembre à Paris.
Parmi les nombreuses associations présentes, toutes porteuses d’alternatives au changement climatique, une mérite d’être encouragée et soutenue : la Monnaie Locale Complémentaire de la Vienne. Une monnaie complémentaire est créée par une communauté de citoyens et d’entrepreneurs qui définit ses objectifs, son image, ses règles et ses caractéristiques. Il s’agit bien ici d’une monnaie sociale, véritable outil d’échanges, conçue pour servir des projets de développement durable, des projets d’économie sociale et solidaire. La priorité est de soutenir le développement économique des acteurs locaux (artisans, producteurs, associations, collectivités, artistes, etc.) tout en orientant nos achats vers les commerces respectueux de l’humain et de l’environnement, mais aussi en créant du lien social. Les monnaies locales facilitent les échanges réels, augmentent les flux monétaires vers les territoires et les secteurs qui en ont besoin. Mais ces monnaies réduisent aussi l’impact écologique de l’activité humaine car leur création encourage les producteurs locaux et ces circuits courts permettent bien sûr de réduire les transports de produits, minimisant ainsi les changements climatiques. Face à la désertification des petits commerces, à la délocalisation, au chômage, ou encore à la perte de liens sociaux, la monnaie peut-être un moyen de se réapproprier l’économie et de la rendre plus humaine. En effet, la monnaie locale permet de construire et de préserver l’intégrité d’un territoire et de s’ouvrir aux autres en échangeant ses richesses sans se mettre en danger. Le but n’est pas de concurrencer la monnaie nationale mais de créer une monnaie complémentaire qui puisse pallier les déficiences du système monétaire actuel, devenu incontrôlable en ces temps de crises économiques. Ainsi, une fois la monnaie mise en place, les particuliers peuvent acheter des bons d’achat en monnaie locale (1€ = 1 unité de monnaie locale). Ces bons sont acceptés par les professionnels adhérents. Les euros convertis en monnaie locale constituent un fond de garantie placé dans une banque éthique pour soutenir des projets s’inscrivant dans l’esprit de la charte. Alors, l’économie locale est dynamisée, les liens sociaux retissés et l’évolution des consciences favorisée.
Le collectif de la Vienne espère la mise en place de leur monnaie locale d’ici 2 ans. Les militants ont déjà exploré et étudié de nombreux domaines : fonctionnement de la monnaie, valeurs de la Charte, méthodes de prise de décisions collégiales, communication interne et externe, structure juridique, etc. Mais il y a encore beaucoup à construire et tout le monde peut intégrer le projet à tout moment. Si vous êtes dans cette région du Poitou, allez à leur rencontre pour échanger sur le sujet, pour participer et profiter de l’énergie formidable de ce projet convivial et citoyen !
Après cette nouvelle journée riche en rencontres, nous profitons d’un hébergement dans le Lycée Kyoto de Poitiers, un lycée agricole dont le nom fait référence au “Protocole de Kyoto” en raison du soin apporté par l’architecte aux aspects énergétiques, favorisant les économies d’énergie. Ce lycée est par ailleurs le premier établissement scolaire d’Europe à fonctionner presque uniquement avec des énergies renouvelables et propres. Ce soir nous redevenons donc tous lycéens et nous endormons dans les lits confortables de l’internat !
Jour 102 – 14 septembre – Saint-Cyr / Chatellerault
En quittant le lycée Kyoto ce matin, nous avons la visite de France 3 Poitou-Charentes. Alors que les cyclistes règlent les selles et remplissent leurs gourdes, les journalistes approchent et les interrogent : “qu’entendez-vous par faire la vélorution ?”. Les échanges vont bon train, les images seront diffusées tout au long de la journée dans différents programmes d’information. Quand midi sonnera, clou du spectacle, Coline, notre cycliste bordelaise, sera interviewée en direct sur le plateau du journal !
Pendant ce temps là, les cyclistes arpentent les petites routes de la Vienne. Bien que la route soit vallonnée, cette matinée semble être du gâteau après nos derniers jours de pédalage intensif sous la pluie. Nous découvrons en outre de jolis châteaux, dont celui de Dissay non loin duquel nous nous arrêtons pour retrouver les organisateurs de l’étape, avant d’entamer les derniers kilomètres.
Aujourd’hui nous partageons la pause déjeuner avec professeurs, éducateurs et surtout un bon nombre d’élèves de l’Institut médico-éducatif (IME) de Châtelrault… 16 d’entre eux pédalerons avec nous tout au long de l’étape de l’après midi ! Hugo, éducateur technique spécialisé à l’origine de cette rencontre, nous explique ses motivations : pour permettre aux enfants de gagner en autonomie, les faire sortir du cadre habituel de l’IME est une super opportunité. Échanger avec eux autours des enjeux climatiques a été un des axes de travail d’Hugo au sein de l’IME en ce début d’année scolaire. Le passage à la pratique cet après midi est un moment privilégié pour concrétiser ces discussions, d’autant plus que les jeunes affectionnent particulièrement les sorties en plein air. Ils se sont d’ailleurs montrés à la fois respectueux des consignes de sécurité (nous empruntions des routes fréquentées par les automobilistes) et très responsables dans la gestion de leur effort physique. Théo et Rémi se sont prêtés au jeu avec tellement de sérieux et surtout de plaisir qu’ils ont effectué les derniers kilomètres, au cours de la vélorution, sur les tandems ! Il fallait voir les sourires se dessiner sur leurs visages, un vrai bonheur !
L’arrivée à Châtellerault a donné lieu à une fort belle soirée. Le temps menaçant de cette fin de journée a contraint les organisateurs à se replier sous le toit de la Maison pour Tous. Cela a cependant permis aux plus de 200 personnes réunies en ce lundi soir de se tenir chaud et de partager un moment des plus convivial 🙂
Un joli maillage du tissu associatif châtelleraudais est venu présenter ses projets. Le Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement Seuil du Poitou avait amené un échantillon de ses outils pédagogiques pour lancer le débat sur l’emprunte carbone de différents produits de grande consommation (notamment une balance et des cubes, correspondants au poids du carbone émis). En se déplaçant dans les écoles, des centres spécialisés ou même sur la place publique, le CPIE facilite l’indispensable prise de conscience que nous devons avoir à l’égard de l’impact de nos modes de vie sur le climat et les conditions de vie à venir sur la planète, aucun acte n’est anodin !
Sur le stand d’à côté, les Locavores du Poitou en faisaient une parfaite illustration : ils invitent à consommer les produits du cru et, rappelant que le transport de marchandises est l’un des principaux facteurs d’émission de gaz à effet de serre, ils démontrent qu’il est possible de se passer de produits venant de trop loin ! Des citoyens demandant l’arrêt de la centrale de Civaux étaient eux aussi présents, car son refroidissement par les eaux de la Vienne de plus en plus chaudes, au débit faible et fortement soumis aux aléas climatiques, les préoccupe énormément. D’autres se mobilisent contre la future ferme des 1 200 taurillons de Coussay-les-Bois, une autre ferme usine posant de nombreux problèmes écologiques et sociaux (zone non constructible classée “zone humide”, risque de pollution de la nappe phréatique très peu profonde, répercussions sur les éleveurs locaux…) et appellent au soutien du public pour empêcher sa construction.
Le très chaleureux café associatif l’Improbable Librairie était lui aussi présent, pour continuer sur sa lancée en renforçant les liens des habitants de son quartier. Recyclant du textile par une chaîne de tri, revalorisation et revente, l’association Audacie nous a quant à elle expliqué comment elle aide des personnes en difficulté à acquérir des compétences et à être insérée dans le fameux “monde du travail” qui laisse de plus en plus de personnes sur le carreau.
Après cet excellent début de soirée clôturé par la conférence du Tour sur l’urgence climatique et les solutions à mettre en pratique dans nos vies de tous les jours, nous avons rejoint notre lieu d’hébergement, chez Pierre, un des principaux organisateurs de la soirée. D’autres de ses compères étaient là eux aussi ce qui nous a permis d’échanger tous ensemble sur cette belle soirée, d’en tirer un premier bilan et de continuer à festoyer un instant 🙂
Jour 103 – 15 septembre – Sepmes / Tours
Après une nuit et un petit déjeuner partagé avec notre hôte Philippe dans le petit village de Thuré à côté de Châtellerault, nous partons à l’aventure sous quelques gouttes, direction Tours ! Nous pédalons à bon rythme dans la campagne charentaise, et rejoignons au village suivant notre guide pour la journée, Sylvain. Le parcours est agréable, et l’ambiance est au rendez-vous pour cette matinée entrecoupée de bonnes côtes. Une dizaine de personnes nous accompagne pour les kilomètres de la matinée, et les locaux en profitent pour nous raconter les anecdotes historiques de la région. Nous traversons notamment Descartes, petit village où le philosophe du même nom est né. Nous faisons une dernière pause grignotage à Grignon avant de faire les derniers kilomètres qui nous séparent de Sepmes, où nous sommes attendus pour la pause du midi.
C’est avec les militants de Greenpeace que nous arrivons au hameau Les Héraults (à Sepmes) à la ferme bio pédagogique du Cabri au Lait où nous sommes accueillis par Sébastien et Claire. Ces derniers ne sont pas issus du milieu agricole, mais se sont pourtant lancés en 2009 dans l’élevage de chèvres chamoisées et la transformation du fromage. La production en agriculture biologique a commencé dès 2010. A leur arrivée sur le site, il n’y avait rien. C’est grâce à l’engagement de citoyens, de parrainages, de soutiens et notamment le rachat des lieux via l’association Terre de liens, que la ferme et l’atelier de transformation ont pu voir le jour. L’élevage est composé aujourd’hui de quatre-vingt chèvres laitières et de vingt chèvres de renouvellement.
Cette première rencontre souligne le poids de l’impact de la ligne LGV dans la région : les travaux ont coupé une ligne d’eau qui passait sous la ferme, conduisant à l’asséchement de ses terres. Mais ces travaux ont également eu des conséquences sur la résonance magnétique et notamment sur le réseau Hartmann, qui permet entre autres aux chèvres de se repérer. Cette perturbation a entraîné des problèmes de lactation en diminuant d’un tiers la production.
Claire s’est lancée depuis peu, en complément de son emploi à la mairie, dans la production et la transformation de plantes aromatiques et médicinales. Elle cueille les plantes dans la propriété, les champs, les haies, chez des amis. Son atelier de transformation n’est pas encore terminé et des améliorations sont en cours (notamment un séchage solaire pour les plantes), mais cela ne l’empêche pas de produire des hydrolats, des tisanes, des huiles, des confits de fleurs qu’elle vend lors d’évènements, dans les magasins bio de la région, par les AMAP ou à la ferme.
Les bénévoles de l’AMAP Consoude nous avaient préparé un repas végétariens et végétaliens avec les produits locaux : lentilles, légumes, fruits… et un pain confectionné par un paysan boulanger, un délice ! Nous sommes touchés par la générosité, la chaleur et la bienveillance de toutes et tous, notamment celle de Marie-Thérèse.
L’après-midi, nous traversons les campagnes de Touraine, et passons devant les travaux de la LGV. L’occasion est alors donnée aux cyclistes et aux militants de Greenpeace de dénoncer ce chantier inutile et destructeur.
Nous faisons une pause pour le goûter à Coop Nature où nous sommes accueillis par Emmanuel, responsable du magasin. Il nous explique que Coop Nature est l’un des pionniers du bio dans la région. Géré par les bénévoles et les sociétaires élus au sein du C.A., ce fonctionnement en coopérative est garant d’une éthique ainsi que d’une relation de confiance avec les fournisseurs. Les rafraichissements, les fruits secs et frais offerts nous donnent de la force pour terminer cette journée de plus de 80 km et rejoindre les Tourangeaux et Tourangelles pour une belle vélorution joyeuse et festive de plus de 150 personnes.
La soirée se clôture enfin avec la 100e conférence donnée depuis le début du Tour, qui rassemble 72 personnes sous la pluie, un exploit ! Incroyable de penser que nous en sommes déjà à la 100e conférence. Mais c’est le résultat de plus de trois mois sur les routes, que nous n’avons pas vu passer… Et dire que dans presque 10 jours, nous arrivons déjà à Paris ! De quoi faire de beaux rêves, en pensant au formidable événement que cela va être…
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