Contrôles policiers, ville en transition : quelques jours intenses !
Jour 46 – 20 juillet
Quittant Mulhouse avec de beaux souvenirs en tête, nous nous dirigeons vers l’Allemagne accompagnés par de sympathiques Alsaciens qui pédalent avec nous sur d’agréables voies vertes. Parmi eux se trouve Dominique de l’association CADRes, qui nous offrira de bon matin de supers porte-clefs vélo… il n’y a pas à dire, nous sommes vraiment gâtés, et nos efforts largement récompensés par la chaleur et la générosité de ceux que l’on rencontre ! Pascal et Sandra, les copains de Fokus 21 venus de Marseille pour le tournage de leur documentaire consacré à la dynamique Alternatiba, avant et après la COP 21, nous ont également retrouvé.
Avant de passer la frontière, alors que le nom des villages que nous traversons nous semblent de plus en plus difficiles à prononcer, notre petit cortège s’arrête devant la plus vieille centrale nucléaire de France, la centrale de Fesseheim. C’est alors pour nous l’occasion d’exprimer clairement notre opposition au développement de l’énergie nucléaire, de rappeler au chef de l’Etat qu’il s’est engagé à mettre un terme au fonctionnement de ses réacteurs, et d’appeler à une sortie progressive du “tout nucléaire” à la française. Une information transparente et une gouvernance démocratique sont des conditions sine qua non à la réussite de la transition sociale et écologique que nous appelons et dont nous promouvons les premières manifestations. Celle-ci met en place des solutions de long terme, permettant de préserver la viabilité de nos territoires et plaçant l’intérêt collectif au delà de celui des grandes entreprises. Par son extrême dangerosité et l’opacité qui règne autour de sa gestion, la technologie nucléaire n’est en rien compatible avec la construction d’une société plus juste et durable.
Alors que nous marquons une pause devant le bâtiment d’EDF, nous sommes rejoints par un petit groupe de militants anti-nucléaires allemands, tout aussi concernés que nous par les risques inhérents au maintient de l’activité de la centrale – car contrairement à ce que raconte le mythe, la propagation de particules radioactives ne se laisse pas impressionner par un passage de frontière. Martin, cycliste germanique à l’énergie débordante, pédale sans relâche pour faire fonctionner sa dynamo et alimenter en énergie renouvelable et sûre, les enceintes accrochées à son porte bagage. Max, Cécile et Txetx se partagent le micro pour animer cette prise de parole bilingue, puis nous prenons une photos collective, avant de quitter ce lieu à l’atmosphère pesante. De l’autre côté de la porte du bâtiment, fermée dès notre arrivée, certains travailleurs du site profèrent des insultes. Le sentiment que ce sujet clivant et particulièrement sensible laisse peut de place au dialogue est désagréable.
A peine un kilomètre après avoir repris notre chemin, une voiture de la gendarmerie arrête le convoi et exige de relever l’identité des cyclistes. Parcourant la France et l’Europe à vélo pour promouvoir les solutions aux multiples crises que connaît notre modèle de société ainsi que l’urgence d’agir face au changement climatique, notre démarche est résolument positive et non-violente. Appeler à une transition énergétique sans fossile ni nucléaire ne relève-t-il pas de nos droits fondamentaux ? Dans un pays qui se targue d’être le haut lieu de la liberté d’expression, la puissance des lobbys finirait-elle par l’emporter ? Quoiqu’il en soit il s’agissait de notre premier contrôle de la part des autorités, et comme vous vous en doutez, cela n’a pas été une partie de plaisir. Pendant ce temps là, Martin avait choisi de faire chanter Brassens, teintant la situation d’une absurdité encore plus marquée !
Heureusement, la suite de notre programme à de quoi nous redonner du baume au cœur : nous sommes invités à déjeuner par la Garten Coop de Tunsel ! Après avoir dégusté un excellent repas (une salade composée de laitue et de fleurs fraîchement cueillies suivie d’une sorte de ratatouille – nous sommes de retour dans le Sud, de l’Allemagne cette fois !), Luciano, un des fondateurs du projet, nous fait une visite guidée de la ferme. La coopérative agricole a 5 ans, elle est née de la volonté d’apporter une alternative au modèle d’agriculture industrielle (n’oublions pas que plus de 40% des émissions de gaz à effet de serre sont liées à notre alimentation) ainsi qu’à la recherche d’autonomie alimentaire des populations urbaines. 300 familles se sont alors regroupées dans la gestion collective de cet espace (prise de décision au consensus et mise en commun des biens, participation -en fonction des possibilités de chacun- à la récolte ou à distribution des produits ; la récolte annuelle de pommes de terre est un temps fort, elle est suivie d’une grande fête réunissant tout le collectif !). La culture des légumes, fruits, plantes aromatiques et céréales y est saisonnière et biologique, elle se pratique en rotation, à l’aide de semences pures, non transformées et fertiles, sur 9 hectares. Ce modèle efficace fait bien des émules : aujourd’hui des dizaines d’autres lui emboîtent le pas, et la nouvelle génération d’agriculteurs, attirés par sa “stratégie du concombre tordu” (décrite dans ce petit documentaire) ne cesse de venir d’inspirer à la Coop !
Le moment a été enrichissant et très agréable, jusqu’à ce que… sept voitures de police, allemande cette fois, débarquent. S’apercevant que certaines personnes présentes sur leur vidéo volée n’avaient par été identifiées lors du premier contrôle, les autorités françaises ont donné pour mission au procureur de Fribourg de redresser le tir ! Sous la menace d’arrestations et de blocage du Tour, nous déclinons une fois de plus nos identités, de manière plus méthodique cette fois… Mais outre son absence de légitimité, nous avons d’importants doutes sur la légalité de l’opération. Étudiant la possibilité d’une plainte pour ce que nous considérons comme un abus de pouvoir, il se peut que cette affaire connaisse certains rebondissements.
A peine remis de nos émotions, nous voila de retour sur les triplettes en direction de Fribourg, ville de la liberté et de l’écologie urbaine, voila qui tombe à pic ! Après une vélorution remarquable par le nombre de participants, leur enthousiasme et l’intérêt qu’a suscité en nous cette bourgade pleine d’arbres, de potagers, de parcs et de cycles, nous sommes arrivés dans un centre politique et culturel autogéré, le KTS, ou un repas végétalien et biologique était servis gratuitement au public !
Jour 47 – 21 juillet
Aujourd’hui nous passons la journée à Fribourg et en profitons pour découvrir un autre lieu hors du commun, le Strandcafé. Nicolas de l’Engrenage, cyclo-inventeur Vosgien dont seule la créativité égale la gentillesse, nous rejoint pour perfectionner le mécanisme du vélo générateur qu’il nous a fabriqué. Pascal et Pierrot en profiteront pour faire la révision complète des triplettes et quadruplette.
Le Strandcafé fait partie d’un ensemble foisonnant et étonnant, hébergé dans une usine de plomb réhabilitée. Alors que hausse des prix des logements et crises sociales avaient fait de ce lieu un squat dans les années 70, sa pérennisation est passée par une entrée dans la légalité et la création d’une sorte de SARL, qui réunit un collectif d’habitants et un syndicat. Ce dernier dispose d’un droit de veto sur toute éventuelle tentative de réintroduction de l’immeuble sur le marché et garanti l’intégrité des prix du loyer. De ce fait, ces derniers sont actuellement deux fois moins chers que les prix du marché, ce que permet à une radio libre, de nombreuses associations, au Strandcafé, ainsi qu’à plusieurs collocations de faire de cet espace un lieu de convivialité et de convergence pour des initiatives éco-citoyennes, des festivals et autres événements culturels, ou le soutien à des luttes anarchistes.
Après un repas des plus sains, nous nous sommes réunis non loin de là pour notre “boboti” quotidien dans sa version élargie. Le “boboti” – dernier avatar du concept évolutif de la réunion après la “salade” et le “clafoutis” – s’est étendu sur plus de deux heures, histoire que nos méninges grillent l’énergie délaissée, en ce jour de pause, par nos cuisses et nos mollets. Une fois que nous nous étions tout dit, ou presque, nous avons rejoint le parc municipal de Fribourg pour assister au village Alternatiba organisé par un collectif de citoyens allemands. Stands, concerts, repas partagé et même sessions de yoga et de qi gong ont réunis une fois encore un beau public, dans une atmosphère on ne peut plus propice aux échanges !
Nous avons ensuite partagé avec nos amis locaux une bonne (série de) bière(s) au cœur de l’une des places de la ville où les fêtards ont l’habitude de laisser filer le temps, assis tranquillement sur les pavés… jusqu’à ce qu’un “bruitomètre”, gros plot lumineux passant du vert au rouge en fonction des décibels enregistrés sur la place en temps réel, les informe de leur abus de bavardage. Il a fait bon se laisser aller à ce moment d’oisiveté joviale à la fribourgeoise, de parler de choses et d’autres et de manifester ces liens d’amour et d’amitié qui nous lient et se resserrent au fil des jours.
Jour 48 – 22 juillet
Nous sommes une bonne quinzaine de cyclistes à quitter Fribourg ce matin. Parmi eux, un jeune ingénieur paysagiste nous informe que la ville possède 50% de logements sociaux, en alliant exemplarité environnementale et prise en compte sérieuse des enjeux sociaux, Fribourg n’a décidément pas fini de nous impressionner !
Sur la route, nous sommes surpris pas une vision étrange : une ville factice venue de nulle part surgit au milieu des champs de maïs, elle se nomme Europapark. Tout y est faux et le parc semble vide. Alors que certains frissonnent, Pascal, qui manie le second degré (voir le troisième) avec intelligence et sans vergogne, ne manquera pas l’occasion. “Les allemands aiment tellement la bière que même les fenêtres sont pintes” lancera-t-il… no comment l’ami 😉
Avant de franchir le Rhin, nous faisons halte à Weisweil. L’accent ici est très prononcé. Nous apprenons alors qu’il existe un dialecte commun à la région, s’étendant sur une partie de la France, de la Suisse et de l’Allemagne, “le bas alémanique”. C’est l’occasion d’observer une fois de plus que des éléments de cultures et langues rassemblent les populations, au delà des frontières instituées.
Kurt et ses camarades nous accueillent ce midi, à la Evangelisher Gemeindehaus. Autour de la table sont réunis des convives de choix : ils font partie des premiers militants anti-nucléaires, d’un collectif citoyen ayant réussi à empêcher la construction d’une centrale dans la localité, il y a 30 ans. Pour nous qui venons de nous confronter à la rigidité des pro-nucléaires, le succès de cette lutte est impressionnant, nous avons bien des questions à leur poser.
Au cours d’une discussion passionnante, Kurt évoqua ce qui selon eux eut une incidence déterminante, avant même que les dangers du nucléaire civil n’aient été reconnu. Outre une détermination sans faille des activistes – nous garderons en mémoire le vibrant témoignage des militantes ayant organisé des actions directes non-violentes, notamment le blocage des sites, dont elles ont gardé de vives émotions – le maintient du dialogue avec les autorités et les partisans du nucléaire a joué un rôle important. De surcroît, Kurt a insisté sur le caractère crucial du développement, en parallèle de la lutte, des technologies renouvelables et surtout du photovoltaïque présenté d’emblée comme une alternative bien plus avantageuse. Réunions d’informations et colloques ont été organisés dès les années 70, pour démocratiser l’usage des panneaux solaires… et il est vrai que depuis nos triplettes nous nous étions réjouis de la présence de nombreux panneaux sur les maisons environnantes !
Ces mobilisations et le maintien du dialogue entre les parties ont abouti à la création d’un document juridique, sorte de traité inédit, entre citoyens et autorités régionales : en voila un bel exemple de démocratie participative ! Il a permis de faire avancer le débat et de trouver des solutions alternatives, avant que l’accident de Tchernobyl et ses répercussions dans la région n’enterrent définitivement le projet.
Après cette pause instructives, nous sommes remontés sur nos vélos en direction de Strasbourg. Alors que la ville a hébergé son premier village des alternatives à la fin du mois de juin, nous étions heureux de nous imprégner de son atmosphère ! Après avoir embarqué des organisateurs du village sur nos montures collectives, nous avons tous pris part à une belle déambulation festive et revendicative, dans cette jolie ville qui facilite le transport à bicyclette !
A l’arrivée au jardin du Lombric Hardi, un jardin partagé très biodiversifié, nous avons une fois de plus bénéficié d’un accueil chaleureux et d’un copieux repas. Nous avons ensuite gagné l’espace de la maison citoyenne du quartier, un des QG de la préparation du village, pour visionner en avant première le petit film retraçant la tenue de l’événement, puis partagé l’expérience des Strasbourgeois, très satisfait du résultat ! 130 organisations y étaient représentées, et plus de 10 000 visiteurs s’y sont rassemblés… Maintenant c’est l’été, mais les rendez vous sont pris pour la rentrée, avec le lancement d’une monnaie locale à l’échelle de l’agglomération strabourgeoise, le stuck !
Et maintenant direction le camping pour aller recharger les batteries, nous nous levons de bonne heure demain matin, et la journée promet d’être haute en couleurs !
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