Jour 65 – 08 août – Auxi-le-Chateau / Drucat
C’est sous un soleil de plomb que les triplettes s’élancent pour les 80 kilomètres qui séparent Arras d’Abbeville. Les champs de céréales à perte de vue bordent les routes nous renseignent sur le fil rouge de la journée : agriculture intensive contre agriculture paysanne ! Habitués des vélorutions, nous le sommes moins des vachorutions : au détour d’un chemin nous voici bloqués par un troupeau de vaches qui semble vouloir poursuivre la route avec nous jusqu’à Drucat pour faire entendre sa voix contre la ferme-usine des 1000 vaches et apporter son soutien aux membres de l’association Novissen, qui luttent ardemment contre ce projet !

Les triplettes pénètrent sur la place Max Lejeune d’Abbeville sous applaudissements des 140 personnes présentes. Le vert des t-shirts Alternatiba et le jaune de ceux de Novissen, se mélangent peu à peu. Les rires et les sourires rendent cette prise de connaissance des plus agréables. Il en ressort une grande force de volonté. La vélorution s’annonce festive et bruyante !
C’est à Joan d’ouvrir la route à bord du vélo-sono. La route jusqu’à Drucat nous rappelle les faux-plats montants belges : il faut appuyer fort sur les pédales pour parvenir au sommet ! Les slogans fusent : « Plein de petites fermes valent mieux qu’une grande », « Des vaches dans les prés, pas enfermées ! ».
Après que Joan ait appelé à la mobilisation en vue de la COP21, Yannick remet le Pacte de la Transition à Laurent Parsis, maire de Drucat. Parmi les mesures proposées par ce pacte, l’une concerne directement le thème de la journée : réaliser un état des lieux des terres disponibles ou à acquérir en vue d’y développer un projet d’agriculture biologique et citoyenne.

Plus de 80 personnes sont présentes à la conférence animée par Txetx et Philippe Chastagner, président de Novissen, qui rappellent qu’en France, le secteur de l’agriculture représente le 2ème poste d’émissions de gaz à effet de serre derrière celui des transports. Les raisons en sont les suivantes : utilisation massive d’intrants chimiques fabriqués à base d’énergies fossiles ; mécanisation, intensivité et productivité à outrance des exploitations ; déplacements inconsidérés des productions pour être préparées, vendues, consommées… La ferme-usine des 1000 vaches est un parfait exemple de ces dérives de l’agriculture française. Si l’agriculture industrielle dérègle le climat, l’agriculture paysanne le stabilise.

Pendant le repas, Chantal nous raconte comment la lutte contre la ferme-usine a redonné une vitalité au village. Les voisins qui ne se connaissaient pas, qui s’ignoraient, sont aujourd’hui unis autour d’un même combat, d’une même lutte : combat contre un modèle agricole non viable, qui détruit les campagnes et les territoires ; lutte pour la promotion d’un nouveau modèle, paysan, local et durable. Autrefois simple ville-dortoir, le village est aujourd’hui vivant.
Elle nous raconte également les pressions des autorités policières. Elle ne compte plus les contrôles de papiers, les survols d’hélicoptères, les surveillances de manifestations par les Renseignements Généraux. Alors que le Tour Alternatiba avait eu droit à un double contrôle de police franco-allemand pour avoir « osé » prendre la parole et s’élever contre la survie de la centrale nucléaire de Fessenheim et plus largement contre le modèle nucléaire français, nous comprenons que nous touchions ici du doigt un autre tabou national : l’agriculture industrielle et intensive. Mais les produits locaux partagés autour de la table et la bonne humeur générale nous en convainquent : un autre monde est possible !
Jour 66 – 09 août – Le Tréport / Dieppe
Ce matin le réveil sonne tôt : la route prévue est coupée pour travaux. Il faut donc partir plus tôt pour couvrir le nouvel itinéraire. Arrivés hier soir – donc frais et dispos – Eric et Nathalie prennent le pilotage des deux triplettes. Tout roule parfaitement mis à part que nous avons longé sans la prendre pendant plusieurs kilomètres, une piste cyclable cachée par une haie … ! Mais nous nous consolons, lorsque du haut d’une colline et derrière les champs, nous apercevons la mer. C’est la première fois depuis Marseille !
Nous arrivons au Tréport, accueillis par l’adjointe au maire, quelques curieux et accompagnés de Mamie crevette. Un petit bout de femme énergique de 90 ans qui nous a accompagné dans les derniers kilomètres (avec le vélo qu’elle a depuis ses 20 ans). Elle en fait encore tous les jours pour se balader mais peste contre les voitures qui ne font guère attention aux cyclistes. On retrouve également Adrien qui rejoint l’équipe.
L’étape de l’après midi est courte mais pas très plate. Nous arrivons à l’heure à la plage, malheureusement trop tard pour prendre le temps de se baigner : il faut repartir pour la vélorution jusqu’à Dieppe ! 50 personnes nous accompagnent. La mairie avait mis à disposition des vélos pour l’occasion. Elle a d’ailleurs fait les choses en grand. C’est un vrai petit village des alternatives qui nous attend, sur l’esplanade de bord de mer, au pied des falaises de craie. Les triplettes, quadruplette et vélo sono paradent au centre du village sous les applaudissements des participants. Au total, 500 personnes seront passées sur le village.
On y trouve plusieurs stands : une épicerie coopérative, un producteur de savon naturel, les revues S!lence et L’âge de faire, Enercoop, un Système d’échange local, des associations pour le vélo, Attac, un collectif d’habitats et jardins partagés, un brasseur artisanal… Comme quoi Dieppe et sa région ne font pas exception à la règle : les alternatives sont partout vivantes et nombreuses. Un vrai terreau pour un monde meilleur.

Parmi ces belles initiatives on trouve le projet Marcotte, une ferme collaborative. Le nom vient du marcottage des fraisiers : ces petites tiges aux fruits goûteux, se multiplient en plantant une branche dans le sol, qui formera ensuite un nouveau pied. Ici l’idée vient d’un couple de cidriculteurs. Désireux de “ne pas rester seuls” et de permettre à des jeunes non issus du milieu agricole de se lancer en agriculture, ils accueillent une maraîchère en 2014. En 2015, c’est un producteur de fromage de chèvre voisin qui les rejoint. C’est la possibilité de mutualiser du matériel, la commercialisation, des coups de main et aussi de casser l’isolement. Et ils ne comptent pas s’arrêter là, l’association va devenir SCOP, un jeune va venir en formation arboriculture, un autre travailler à la valorisation et commercialisation des produits… Et il y a peu, on leur à même proposé de nouvelles terres. Probablement de nouveaux emplois en perspective.

Le soleil se couche doucement sur la mer alors que la conférence quotidienne commence devant un public épars car un apéro convivial bat son plein juste à côté mais qui ne tarde pas à s’épaissir au fil des minutes. Ce sont finalement 85 personnes qui suivent la présentation de la bataille climatique vue par Alternatiba. Dans cette région marquée par la question du nucléaire, Adrien et Txetx expliquent en quoi il ne s’agit en aucune façon d’une alternative au changement climatique. Au contraire la politique du tout nucléaire française a englouti les milliards qui auraient pu financer les politiques de sobriété énergétique (isolation des logements, développement des transports collectifs etc.) et de développement des énergies renouvelables. Résultat de ce choix erroné, 40 ans plus tard, la France est bien plus dépendante des importations de pétrole et de gaz. L’accent est alors mis sur les vraies alternatives et sur l’importance de la mobilisation citoyenne. Ce soir, le cadre est exceptionnel : en arrière plan les falaises et le château de Dieppe. On a envie de croire que nous sommes en train de gagner et de construire ce monde dont on a envie : joyeux et solidaire.
Nous quittons les Dieppois sur un air de jazz d’un groupe du coin qui occupe avec brio la scène pour la fin de soirée. Mais nous les reverrons : ils nous ont promis d’organiser un bus pour monter à Paris le 26 septembre. A bientôt !
Jour 67 – 10 août – Clères / Rouen
Aujourd’hui direction Rouen. Après un petit ennui mécanique au démarrage vite réglé, nous empruntons les petites routes normandes. Nous les aurions aimé moins vallonnées mais c’est compensé par le plaisir des yeux et le peu de voitures croisées. Nous arrivons à Clères et ses belles halles anciennes en bois. Au dessous un solide comité d’accueil, arborant les jolis tee-shirt blanc de Alternatiba Rouen (3 et 4 octobre). Le temps de monter le stand, d’aller faire une photo dans le parc du château renaissance à proximité, nous pouvons entamer le repas succulent (on remercie Sylvie). Certains ont même le temps de faire une sieste !


L’étape de l’après midi s’annonce comme une vélorution de 20 kilomètres : un tandem et dix vélos suivent les triplettes. Mais ce n’est qu’une graine : pour l’arrivée à Rouen sur la place de l’hôtel de ville, ce sont plus de 100 vélos qui accompagnent triplettes et quadruplette. Au total, près de 300 personnes assistent à l’arrivée et la conférence organisée ce soir là réunira 174 personnes, un record d’autant plus remarquable pour un lundi 10 août ! On voit là les fruits du travail efficace mené par l’équipe d’Alternatiba Rouen. En tête de cortège de cette vélorution rouennaise, deux étonnants bus à pédale. Ils sont chargés d’enfants sourire aux lèvres et conduit par des jeunes gars motivés. Ils présenteront plus tard leur association : S’cool bus.

Ils proposent, avec ces bus qui peuvent transporter jusqu’à dix enfants, un transport scolaire gratuit, écologique et sportif. Ça fonctionne déjà depuis le début de l’année avec une école de Rouen : tous les midis les s’cool bus transportent les 150 enfants de l’école jusqu’à la cantine à un kilomètre de là. L’association réuni 150 bénévoles, construit elle même les bus, forme les conducteurs. Pour l’année scolaire prochaine, ils proposent un transport scolaire à tous ceux qui le souhaitent sur Rouen, il faut s’inscrire sur : www.scool-bus.org. Une initiative à suivre et à soutenir.

Ce soir nous avons aussi rencontré l’Agnel, la monnaie locale du Grand Rouen qui sera lancée en exclusivité lors d’Alternatiba Rouen les 3 et 4 octobre, l’association de protection du site naturel de Ropinville, la ville de Rouen qui est passée au zéro phyto pour la gestion des espaces verts, la ville de Malaunay qui prévoit l’arrêt de toute nouvelle urbanisation sur les zones naturelles et agricoles et a lancé le premier immeuble à énergie passive et en habitat social de Normandie. Et bien sûr La ferme des Bouillons nous présente son actualité : une décision déterminante doit tomber dans les prochaines semaines. Nous en saurons plus demain puisque ils nous accueillent pour une journée de repos bien méritée.
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